Confinement 2020 - journal indéfini - podcast sous covid19
Podcast von Alexandre Laurent
Le confinement de 2020 en France vu de Normandie, un couple avec deux enfants, un chien, et trois cent disques vinyles. Entre journal de bord et carne...
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14 FolgenLundi 30 Mars 2020 jour 15 Le réveil avec le ciel bleu, déclaration dérogatoire de déplacement à remplir, le chien à descendre du deuxième étage, le sortir dans l'air frais du matin, la journée commence souvent par ce nouveau rituel. Rentrer faire du café, tenter d'écrire ce journal avant d'entrer dans le challenge matinal : « l'école à la maison » pour ma fille, combinée à « la crèche à la maison » pour mon fils. Inutile de dire que la séquence « le travail à la maison » est un pari impossible dans ces conditions. Faute de précepteur à demeure comme dans les grandes familles au 19e siècle, on se rend compte une fois de plus de l'importance de faire couple dans ces moments. Échange de bons procédés, chacun travaille un matin sur deux pendant que l'autre fait l'enseignant. Les après-midis sont légèrement plus simples avec la sieste du plus jeune et l'aide des applications pédagogiques proposées sur iPad. Nos respirations, faire les courses. Alterner entre la boucherie de la rue Alphonse Karr et celle de l'avenue Georges V. Etretat est un village à viande. Curieux pour un bourg de bord de mer, n'en déplaise aux végétariens. La poissonnerie semble avoir trouvé plus lucratif de muter en restaurant spécialisé dans les fish&chips à emporter et il n'y a guère plus qu'un pêcheur qui exerce de temps en temps son dur métier. Cependant les boucheries tiennent bon. S'il en est une qui est atypique, c'est bien la première, celle de Serge : une formidable aventure hors du temps. Allait-elle être ouverte ce lundi? Les yeux fermés j'aurais pu répondre à qui me pose cette question : oui. Sera-t-elle ouverte demain? Encore, oui. Samedi? Dimanche? Dans deux semaines? Oui, oui et oui. Serge est toujours ouvert. Si sa boutique est fermée c'est qu'il y a un problème de santé, un cataclysme, ou une panne d'électricité. Cette boucherie, c'est la boucherie des années d'avant, des années 50, 60, 70, 80 peut-être, c'est la boucherie des films qui ne se passent pas à notre époque. C'est propre, hein, attention, c'est nickel, de la belle viande qui patiente sagement dans son étal réfrigéré, savamment mise en valeur par le sobre tenancier de l'établissement, seul aux commandes, cuir apparent, fine moustache blanche, blouse assortie impeccable et couteaux affutés. La boucherie de Serge semble n'exister que dans une autre époque, rassurante, que seuls la caisse et l'appareil à carte bleue viennent trahir. Autour, les quelques affiches présentant les morceaux de viande en conseillant de « faire confiance à son boucher et à Seb » et les panneaux interdisant l'entrée aux chiens feraient le bonheur de quelque collectionneur passionné de vintage ou d'un décorateur de cinéma. Aujourd'hui, dans son phrasé rapide et concis, il m'a conseillé du rumsteck plutôt que le faux-filet. C'était bon. Serge a souvent raison.
Dimanche 29 Mars 2020 - Jour 14 Etretat le dimanche, habituellement, c’est d’abord du monde. Des sourires, des cris d’enfants qui se confondent avec ceux des mouettes, des milliers de pas, autant de repas que surveillent des milliers de paires d’ailes, des galets volés, des baisers qui s’envolent tournés vers la mer, qui monte, qui descend, narguant le flot imperturbable, pénible, des voitures et leurs gaz assassins, qui prennent d’assaut chaque brin de rue, chaque centimetre de bitume pouvant servir de place de parking, et déchargent des familles de partout, d’ici comme d’ailleurs, et même de très loin, qui s’extasient devant les portes d’amont et d’aval, merveilles d’une nature sur laquelle ils chient, tous, sans même s’en apercevoir. Etretat le dimanche, c’est la fête populaire, un 14 juillet où ça bosse, hôtels complets, restaurants bondés, moules importées (y’en a pas ici), bière bon marché, ça mange dedans, ça mange dehors même s’il fait froid, même s’il pleut parfois, ça mange en marchant, proies des goélands, insolents oiseaux qui ne pêchent plus dans l’eau, tant pis on jette les emballages, les papiers gras, plus rien à manger car ils ont tout piqué, on s’en débarrasse de nos déchets plastiques, ici c’est pratique pas de recyclage, pas de poubelles de tri, tu balances comme ça, dans une grosse benne si tu la vois. Tout ce que nos belles photos ne montrent pas finit bien souvent dans la mer ou meurent au milieu de la verdure par delà les falaises. Ainsi trinque cette nature qui nourrit le village, ses femmes et ses hommes. Habituellement. Ce dimanche, il n’y a personne. Pas âme qui vive après 13h quand les commerces de nécessité ferment. Après que le chocolatier, dont l’ouverture dominicale était fort attendue par mes enfants, eut baissé pour la semaine son rideau de fer, il n’y a plus que le vent et ses bourrasques de soixante noeuds qui s’amusent à pousser les innombrables crottes de chiens qui s’amoncellent chaque jour davantage un peu partout dans les rues. Il n’y a plus que le vent qui pousse les ailes des oiseaux. Il n’y a plus que le vent qui porte la grêle aux voitures échouées sur le parking. Il n’y a plus que le vent qui fait voler les pancartes des restaurants, sur lesquelles on peut lire : fermeture Covid19.
Samedi 28 Mars 2020 - Jour 13 Le vent s’est levé. Il a fait se déchaîner les vagues. Elles ont couru au plus près qu’elles pouvaient, se sont abattues à bout de forces sur la promenade, dans un vacarme intense. Ses rafales ont stoppé mon jogging, m’ont forcé à faire demi-tour, sa fraîcheur m’a glacé les os. On l’entend de toutes parts, enveloppant la moindre maison, infiltrant la moindre ruelle. Il est là. Il nous tient et se fait plus sentir que le virus. Pourtant il a fallu courir dans les rues d’Etretat, interpeler les passants, hurler son nom, regarder partout pour tenter de le retrouver: notre chien avait pris la fuite. Ce scélérat n’a pas résisté à l’appel de la rue, à l’odeur de je-ne-sais-quel animal, ou juste à la simple lubie d’aller voir plus loin. Un chien, quoi. Son dressage minimaliste ne nous permettant d’avoir son obéissante attention que lorsqu’il a compris qu’un gateau l’attendait entre nos doigts, le canidé est en roue libre. Sympathique au demeurant, mais peu docile. L’avantage est que sa taille, minime, permet de l’emporter d’une main quand il rechigne à suivre nos instructions. L’alerte de sa fugue ayant été donnée alors que je m’occupais de mon fils pour lui remettre une couche, j’ai du précipitamment donner cette responsabilité à sa sœur aînée, 7 ans, avant de filer quadriller le village. Quand je suis revenu bien plus tard, non seulement il n’avait pas encore, ou plus selon sa sœur, de couche, mais il avait achevé d’essuyer ses fesses sur le plaid du canapé. Vision d’horreur. C’est une petite dame qui a appelé ma femme après avoir relevé le numéro de téléphone inscrit sur la médaille du fugitif. Sa chienne semblait ravie d’avoir rencontré un nouvel ami à quatre pattes. Nous fumes soulagés de ce happy ending qui a mis fin aux pleurs de ma fille. L’évadé du jour sera à présent attaché à une longue laisse dans la cour, et basta. Après tout, 3 milliards de personnes sont confinées dans le monde, le chien peut bien supporter d’errer dehors dans la limite d’un rayon de 5 mètres quand il n’est pas dans la maison. C’est un curieux début de printemps. Nous n’avons jamais été aussi longtemps dans cette maison, à se croiser, se supporter, se soutenir, à vivre ensemble tout simplement, dans ces vacances qui ne sont pas des congés, cette guerre dénuée de lutte armée, cette vie quotidienne éloignée de notre quotidien habituel. Le vent se calmera bientôt, je vais me coucher.
Jeudi 26 Et Vendredi 27 Mars 2020 : Jours 11 Et 12 Difficile de tenir un journal quand son job principal c’est déjà d’écrire. On pourrait avoir l’impression de faire des heures supplémentaires si le temps pour cela existait. Je devais finir un chapitre important pour la bonne continuité de mon projet principal et cela n’a pas pris le chemin de la simplicité ni celui de la rapidité. Les heures passées dehors à taper sur mon clavier, aux moments où cela m’est possible c’est à dire surtout pendant la sieste de mon fils, ne suffisent pas à terminer sur quelques heures le chapitre d’une histoire. Nous sommes déjà vendredi et je me suis aperçu que j’ai perdu la notion des jours. Il y a quelques instants je me pensais encore sur la journée de jeudi. Je me dois me rendre à l’évidence, cela fera demain deux semaines que nous sommes arrivés à Etretat. Notre séjour, prévu initialement pour 3 nuits, devient plus confortable: nous avons enfin été livrés d’une commande de vêtements pour toute la famille. J’hérite de deux pantalons ainsi que d’autant de chemises et de caleçons qui viendront compléter la maigre valise que j’avais emporté. Nous avons fait de même pour les enfants afin qu’ils ne tournent plus sur les 3 pulls qu’ils ne cessent de salir malgré les lavages dans cette machine qui n’arrête pas de tourner. Etretat ronronne d’un confinement tranquille. J’espère toutefois que la maison de retraite du village n’est pas trop touchée par le virus. Autrement, la vie est rythmée par les sorties du chien, les promenades des enfants, les contrôles par les gendarmes (j’ai d’ailleurs subi les foudres de la gendarmette cet après-midi parce que je n’avais qu’une déclaration sur laquelle je notais dans un tableau toutes les dates et heures de sortie, ceci dans un soucis bien evident d’éviter du gaspillage de papier. Elle m’a menacé d’une contravention à 135€ pour la prochaine fois. Je vais devoir me plier aux directives ineptes de l’administration). Cela fait deux jours que les médias relayent un très probable rallongement de la durée du confinement. Chacun y va de son analyse. Deux semaines? Quatre semaines? Ce sera deux. Éventuellement renouvelables. Je pense qu’on passera tout le mois d’avril ici, dans 38 metres carrés, à se demander comment l’économie va se remettre, après. Après? Après les Rolling Stones, Led Zep, Leonard Cohen et sûrement Cerrone que mon fils de deux ans adore car il y a des solos de batterie. Après ce moment historique qu’on pensait impossible, improbable tout du moins. Après avoir eu la réponse dans ce débat sur les bénéfices de la Chloroquine pour traiter le coronavirus. Après cette pause mondialisée à différents tempos, brutale souvent, qui met en lumière comment notre société est fracturée, inégale. Je mesure cette chance d’être coincé dans un petit village où l’on rencontre surtout des mouettes et des goélands lors de nos promenades quotidiennes. Je sais qu’à Paris ce sont tous les échoués de la vie qui hantent les trottoirs. Tous ceux auxquels on ne prête pas attention quand ils sont noyés dans la foule. Je sais également que ce sont surtout les livreurs des commandes Amazon qui battent le bitume. J’espère que Jeff Bezos aura une bonne prime à donner à son armée de soldats précaires qui permettent à ce géant du e-commerce de réaliser des bénéfices records pendant cette période où beaucoup d’entreprises s’écroulent. Si Les injustices ne chôment jamais, on se fera livrer de l’espoir. J’en produirai.
Mercredi 25 mars 2020 : Jour 10 A peine 10 jours de confinement et on parle déjà dans la presse de la possibilité que cela dure 6 semaines. Cela nous mènerait à fin avril, début mai. Cela semble loin. Nos journées marathon avec les enfants à occuper, à nourrir, nourrissent des semaines de lenteur où rien n’avance. En majorité les projets professionnels semblent stoppés, reportés, annulés. On ne sait plus qui travaille à distance, qui ne travaille plus. On envoie des mails dont les réponses mettent des jours à arriver, quand elles arrivent. La pousse de ma barbe avance, c’est un fait. Il y a dix jours, je me suis parié à moi-même de ne me raser qu’une fois le confinement passé. Je ne suis pas sûr de gagner de pari stupide. Sur moi c’est moche et j’ai lu que les poils de barbe favorisent la contamination au Covid19. A quoi servirait que je me lave les mains des dizaines de fois par jour si c’est pour arborer un piège à virus sur mon visage? Le poil reste en sursis. Décision à prendre. Tergiversation. La prise de décision, elle non plus, n’avance pas. Les chevaux de la police avancent aussi. Je pensais qu’ils étaient là pour faire décoration mais j’étais mauvaise langue. Bassement perfide. Ils sont là. Peu sympathiques cependant. Le policier fait rarement démonstration de son sens de l’humour, c’est dommage. Ces derniers ont demandé à ma femme de prouver son identité lors d’un contrôle de déclaration pour justifier sa sortie. Manifestant son étonnement, elle leur a répondu avec humour « mais vous pensez que je voudrais prendre la place de qui? » Ils n’ont pas ri. Pourtant, dans un petit village de 1200 âmes, qui voudrait tricher sur le nom qu’on doit inscrire sur ces satanées fiches? Prennent-ils des notes de qui sort et à quelle heure? Que nenni! Alors quel intérêt pour ces policiers de faire du zèle, à par rompre l’ennui d’errer sans relâche dans un village? Aucune réponse. On avance pas ici non plus. Ailleurs le nombre de morts s’élève, inexorablement. Alors que le nombre de villes confinées, de pays confinés progressent sans cesse, les livraisons de masques de protection pour les personnels soignants avancent-ils? Comme beaucoup de choses. A peine.
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